Regard sur la fashion week

Regard sur la fashion week

En mars 2010, je me mêle pour la première fois à la cohue des sorties des défilés de la Fashion Week. Ignorant encore de quoi il retourne, je me suis retrouvée prise dans les flots de la foule, écrasée par les photographes professionnels traquant les stars, bousculée par les fans hystériques, les badauds mécontents ou curieux et les services de sécurité plus ou moins conciliants. Gelée par un vent infernal, par les heures d’attente à piétiner, je termine néanmoins cette première saison grisée par le défi que représente la prise de vue dans ces conditions, par le spectacle qui se déroule sous mes yeux. En octobre 2010, je décide à retourner dans la fosse aux lions. La dernière la sortie que je cale dans mon agenda, John Galliano à l’Opéra Comique, est l’occasion de constater des contradictions de ce milieu.

Dimanche 03 octobre 2010, à l’Opéra Comédie, Paris. Sortie des mannequins.
Elles sont déjà une poignée à être sortie du défilé Galliano. Les premières sont parties en courant sur leurs talons. Elles ne se retournent pas aux cris des fans, aux saluts des derniers maquilleurs à quitter les lieux. Elles sont en retard, un autre couturier les attend. La plupart d’entre elles sont encore maquillées, leurs cheveux, comme passés à la bombe argentée ou dorée, conservent intacts des séries de boucles travaillées. Les suivantes s’arrêtent un instant pour les photographes amateurs et blogueurs mode présents, avant de glisser un “thanks” discret. D’autres se calfeutrent derrière leurs lunettes de soleil et leur main brandie devant leur visage. Dans la petite rue sur laquelle s’ouvre la porte de la sortie des artistes, elles se frayent un chemin et atteignent le boulevard au pas de course, téléphone à la main, cherchant du regard la voiture diligentée par leur agence, le motard qui les coiffera d’une charlotte et d’un casque. Puis, le départ de Janet Jackson est annoncé. Sa voiture, fenêtres fumées, stationne devant l’entrée. Les photographes d’agence hurlent pour faire dégager le périmètre, pour que tout le monde recule, pour que les agents de sécurité libèrent le champ de vision, les fans sautent sur place, téléphones et appareils en main. Et elle apparaît, elle devance de quelques pas à peine la star tant attendue. Il fait chaud en ce début octobre, elle ne porte pas grand chose. Son frêle buste la hisse au-dessus de tout le monde. Elle jette quelques coups d’oeil pour se frayer un passage. En vain. Elle n’a pas le choix, elle doit rejoindre le haut de la rue à contre courant de la foule. Mais Janet Jackson arrive, l’étau se resserre, elle ne peut plus avancer, manque de tomber contre ces gens qui ne la voient même pas, semble-t-il. Le buste en avant, elle fend tant bien que mal la masse de plus en plus compacte. La traversée est interminable. Le pression grandit, emportée, elle recule de quelques pas. Parvenue à se libérer de cette étreinte collective, elle redevient l’objet de toutes les attentions des quelques fans qui réclament une photo à ses côtés, un regard. Cette femme frêle, au sourire timide, je l’apprendrais plus tard, s’appelle Arizona Muse (photo ci-dessus). Elle est une égérie de la mode. Du catwalk à la rue, ces femmes sont tout et rien. Choisies parmi des centaines d’autres, maquillées, coiffées, manucurées, habillées, encouragées, elles sont indispensables à la mode et doivent dans le même déhanché s’effacer derrière la création qu’elle présente le temps d’un défilé. Objet de l’admiration des amoureux des backstages ou femme bringuebalée entre les coups de coude des photographes amateurs, elles oscillent entre la lumière des projecteurs et l’éclat parfois cruel de la rue.

Depuis, je photographie les traces de la présence au monde de ces jeunes femmes. Je n’aime pas les arrêter et leur demander de fixer mon objectif. Leurs sourires professionnels ne m’intéressent pas. Je cherche les émotions sur leurs visages : un regard noir, un regard dans lequel je n’existe pas, un éclat de rire qui n’appartient qu’à elles… D’années en années, je découvre, retiens et mentionne leurs noms, pour qu’elles ne soient pas seulement le corps de la mode.

 


Marine Deleeuw

Freja Beha Erichsen - 2011
Freja Beha Erichsen

Karlie Kloss - 2011
Karlie Kloss